
Synthèse par Vanessa MICHING DIWA
Lu pour vous dans la Revue Devoir 2010, , cette enquête explosive sur 111 mères tueuses, enquête qui permet de cerner le phénomène qui servit en France, mais aussi au Gabon. On se souvient de cette vidéo qui a défrayé la chronique sur les réseaux sociaux : d’une jeune dame gabonaise vivant à Lebamba qui a enterré son nouveau né vif. Le monde était sous le choc : qu’est-ce qui poussent ces mères à tuer leur enfant, autrement dit à commettre des neonaticides.
Chaque année ou presque, certains enfants sont abandonnés à des carrefours, d’autres sont sauvés des fosses sceptiques où leurs mamans ont tenté de les tuer. Quelles en sont les raisons ? Gabon Telegraph a lu pour vous une étude très détaillée d’une femme qui explique « ce qui n’a pas marché » dans la tête des mamans tueuses.
Certes les travaux des scientifiques Bayer et Friedman, les données cliniques, permettent de préciser que généralement la majorité des meurtres des nouveau-nés est réalisé dans un contexte d’enfants non-désirés, par des femmes célibataires et économiquement faible. Mais Hélène Romano va plus loin. Elle dégage dans l’article scientifique ci-dessous le profil de la mère tueuse : on sait par exemple qu’une jeune fille qui cache sa grossesse et ne fait pas de visite prénatal a des fortes chances de tuer son enfant. Lecture des cas quatre profils psychologiques de mères tueuses.
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Psychologue urgentiste intervenant au plus près de ces actes, mais également en tant que thérapeute et chercheur sur ce sujet depuis de nombreuses années, Hélène Romano a conduits a décortiqué 111 situations de néonaticide.
S’appuyant sur l’expérience clinique (Romano, 2009 ; Tursz, et al., 2005) de les différencier en quatre catégories : les néonaticides en contexte de déni de grossesse, les néonaticides qualifiés de «désespoir », les néonaticides narcissiques et tueuses victimes de troubles psychiatriques avérés, état délirant aigu ou mélancolique.
Avant donc d’aborder les distinctions quant au processus psychique qui amène les mères à tuer leurs enfants, il nous faut préciser les points de similitude relevés qui permettent de cerner qui sont ces mères auteures de ces actes odieux :
- ces femmes proviennent de tous les milieux sociaux et ne sont pas toutes issues de milieux carencés et précaires ;
- elles s’excluent de toutes prises en charge et de toutes les attentions et précautions que nos sociétés portent à la femme – enceinte : aucun suivi médical, aucune personne avertie de la venue du bébé, aucune déclaration de grossesse effectuée, aucun soin spécifique après leur accouchement ; les accouchements ont lieu clandestinement dans le huis clos de leur domicile sans qu’aucun soin médical ne puisse leur être porté.
Les différents profils des mères tueuses
- Néonaticide dans un contexte de déni de grossesse
Le déni de grossesse est le fait pour une femme enceinte de ne pas avoir conscience de sa condition. Il peut prendre fin avant le terme de la grossesse (« déni partiel ») ou être « total » et se poursuivre jusqu’à l’accouchement. Une récente étude menée dans des maternités du nord de la France (Pierronne, et al., 2002) a permis de constater que près de la moitié des femmes présentant un déni était déjà mère d’un ou de deux enfants. L’âge, le statut social, le nombre de grossesses ne protègent donc pas contre le déni. Dans ces situations, le corps ne réagit pas à l’état de grossesse et ne présente aucun signe particulier : peu de prise de poids, aménorrhée souvent transitoire ou totalement absente, développement du bébé in utero de façon verticale sans modification du ventre de la femme, etc. Le corps n’est pas pensé, pas plus que ces femmes ne sont pensées par leur corps. Le déni contamine souvent l’entourage : conjoint, proches, mais également médecins susceptibles de ne pas diagnostiquer l’état de grossesse. Le déni est un mécanisme de défense puissant, rempart inconscient pour échapper au risque d’effondrement psychique, dans des situations limites ou de survie. Il n’est ni un secret, ni un mensonge, mais la trace de l’état d’agonie psychique dans laquelle se trouve ici la femme concernée, qui ne peut plus rien élaborer de ce qui lui arrive, ni pour elle-même, ni vis-à-vis des autres. Lorsque le déni est total, les femmes sont au moment de l’accouchement dans un état assimilable à celui d’un état de stress dépassé (Romano, 2007) avec souvent un état de dissociation péritraumatique et des conduites automatiques qui témoignent de la violence de l’effraction psychique de ce qu’elles sont en train de vivre. Le temps de l’accouchement est un « temps hors temps », un temps suspendu dont elles sont bien souvent incapables de parler. Il est fréquent qu’elles se trouvent dans les toilettes pliées en deux par des douleurs qu’elles assimilent à « des problèmes digestifs » et que le bébé se noie dans la cuvette des WC ; il arrive également qu’elles restent dans un état d’inhibition stuporeuse, dans la totale incapacité de prodiguer le moindre soin au bébé.

- Néonaticide par trouble psychique
L’appareil psychique de ces mères est dans un tel état de tension qu’il se trouve hors conscience et conduit à un passage à l’acte non contrôlé car incontrôlable, sur « un non-objet » qui ne représente qu’un « déchet ».
Elles ne parlent pas de leur « bébé » mais de « quelque chose qui est sorti de [leur] ventre », « d’un corps étranger », « de quelque chose », « de tumeur de l’intérieur », etc. Elles n’accouchent pas d’un « bébé », pas davantage d’un fœtus, terme qui signifierait déjà que quelque chose de l’ordre de l’humain a pu s’inscrire ; mais elles éliminent de leur corps un rebut ou, pour reprendre l’expression de l’une d’entre elle, « [elles] se vomi[ssent] de l’intérieur » L’absence d’altérité vis-à-vis de ce tout- petit, conduit à des actes innommables : sans existence psychique, sans existence symbolique, il est expulsé et traité comme un excrément.
A l’issue de leur accouchement et de la mise à mort du bébé, ces femmes reprennent étonnamment leur activité professionnelle et leur vie familiale « comme si de rien n’était ». Lorsqu’il leur est possible, en cours d’expertise par exemple, de revenir sur leur ressenti, elles expriment majoritairement un profond sentiment de désappartenance : personne n’a perçu leur grossesse, personne n’a compris qu’elles avaient accouché, personne ne peut les comprendre ; ce qu’elles ont vécu reste indicible et si elles le perçoivent hors conscience, il ne leur est pas envisageable que cela puisse être compris par d’autres.
Les reviviscences sont fréquentes, lorsque ces femmes sont autorisées à en parler, en particuliers au niveau olfactif et auditif comme en témoigne cette mère : « ses hurlements [ceux du bébé] me hantent jour et nuit ». Le déni de grossesse est relayé par le déni de l’empreinte laissée par l’accouchement dans leurs corps et dans leur vie, censée pouvoir reprendre son cours. Elles sont souvent dans l’incapacité de mettre en mots leur acte et lorsqu’elles le peuvent, font un récit désaffectivé, comme s’il s’agissait d’une autre qu’elle qui était impliquée.
- Neoinfanticide par désespoir
Ces situations correspondent à celles de jeunes adolescentes qui découvrent tardivement leur grossesse sans possibilité d’y mettre un terme (délais d’IVG dépassé) ou de jeunes femmes dépassées pas une grossesse inattendue (grossesse adultérine, grossesse consécutive à un viol qui n’a pas été dénoncé).
La perspective d’un accouchement sous X n’est pas envisagée par crainte des représailles familiales ou sociales, mais il est souvent évoqué une mise à mal intentionnelle de leur corps avec l’espoir d’une fausse couche (« J’ai continué de courir plusieurs heures par jour, pour que ça s’arrête »). Ces jeunes filles, bien qu’informées sur les moyens de contraception, ne se perçoivent pas comme des femmes en capacité d’enfanter ou lorsqu’elles sont plus âgées, vivent avec la pensée magique qu’elles ne peuvent pas être enceintes.
Pour certaines, l’élimination du bébé est motivée par la terreur de vindictes familiales ; pour d’autres et de façon plus inconsciente, par le fait que cette grossesse peut venir réactiver des conflits œdipiens mal résolus et leur laisser penser que ce bébé à naître serait la preuve d’une relation incestueuse. Contrairement au déni de grossesse, dans ces situations, les grossesses sont dissimulées (vêtements amples) et il n’est pas rare qu’une certaine ambivalence se manifeste à l’égard de ce bébé à naître.
Ces jeunes filles sont dans un état de désarroi intense et le meurtre de leur bébé apparaît comme la seule perspective envisageable pour se dégager d’une réalité inconcevable. En ce sens, ce geste pourrait renvoyer à l’univers de la psychose par cette volonté de ne pas inscrire dans la réalité l’expérience vécue. Lors de la naissance, elles ont souvent anticipé ce qu’elles pourraient faire, expriment leur volonté « de ne pas faire souffrir le bébé » et portent une grande attention au corps de leur bébé dont elles se séparent.
Par exemple cette jeune adolescente maghrébine de 16 ans qui accouche seule dans sa chambre, étouffe son bébé (« pour ne pas lui faire mal et ne pas l’abîmer »), l’habille avec un petit pyjama qu’elle a elle-même acheté, passe la nuit à lui chanter des berceuses et au matin « l’installe confortablement dans [son] sac à dos » qu’elle jette dans l’étang… en oubliant de le lester. A l’issue de leur acte, ces jeunes femmes tentent de reprendre leur « vie d’avant », mais contrairement aux autres situations de néonaticides, il est relevé davantage de réactions dépressives proches de celles constatées en contexte de deuil traumatique.
- Neonaticide par narcissisme
Ces cas correspondent davantage à des femmes plus âgées, ayant souvent déjà d’autres enfants et qui cachent délibérément leur grossesse. Ces femmes ont majoritairement accès à l’information concernant la contraception mais délibérément n’y recourent pas ; pas plus qu’elles n’envisagent l’avortement lorsqu’elles se découvrent enceintes. Certaines expriment le « désir d’être enceinte, le plaisir ressenti au cours de la grossesse, mais ne surtout pas vouloir un autre enfant ». Le bébé n’est qu’un simple objet de jouissance, valorisant des failles narcissiques lors de la grossesse, mais à supprimer dès que cet objet devient réel.
Tout se passe comme si ces femmes recherchaient cet état de grossesse comme un état gratifiant pour elles-mêmes sans parvenir à intégrer l’existence de ce bébé dans leur ventre. Le bébé in utero n’est pas perçu comme un être distinct d’elles-mêmes et à aucun moment envisagé dans sa dimension de petit être humain.
La décision rationnelle de le supprimer est prise de façon assurée comme en témoigne cette femme auteur de plusieurs néonaticides : « Je savais que j’allais accoucher ; avant d’aller dans les toilettes j’ai pris le matériel et les outils nécessaires pour faire ce que j’avais à faire ». Sauf complications, elles accouchent seules et assez rapidement. Contrairement aux « néonaticides par désespoir », elles ne manifestent pas d’inquiétude sur les douleurs éventuelles du bébé au moment de sa mise à mort.
Le nouveau-né n’est qu’un corps étranger en voie d’expulsion. Décider de sa venue au monde par une mise à mort les maintient dans l’illusion de maîtrise face à un monde interne particulièrement insécurisant. Quand elles se trouvent contraintes de témoigner lors des procédures (et qu’elles ne sont pas instruites par leurs avocats pour soutenir un contexte de déni), leur discours est souvent distancié de façon effroyablement précise. L’attention portée au corps du bébé est variable : elle peut être ritualisée de façon à le conserver à proximité, ce qui nous semble témoigner de l’investissement de ce bébé en tant que sujet : le corps est lavé et peut être enterré, brûlé avec les cendres dispersées ou congelé et régulièrement « visité ». Dans d’autres situations, il reste assimilé à un déchet et évacué sans aucun soin, dans des vide-ordures, poubelles ou autres bas-côtés de chemins.
- Neonaticide dans un contexte de troubles psychiatriques
Cette catégorie correspond aux néonaticides est commise par des femmes présentant des troubles affectifs ou des troubles psychotiques chroniques.
Pour cette mère, explique l’enquête, dans la situation des mélancoliques délirantes, la volonté n’est pas tant de tuer l’enfant que de le préserver des souffrances de la vie et de l’emmener avec lui dans la mort. Lorsqu’elles passent à l’acte dans un contexte d’infanticide dès la naissance de l’enfant, l’étouffement est le mode opératoire le plus fréquent ; pour les enfants plus âgés, le recours à des médicaments est souvent relevé. Une grande attention est portée au corps de l’enfant qui est souvent lavé, habillé après qu’il ait été tué et avant que sa mère ne se tue ou tente de mettre fin à ses jours.
Les femmes psychotiques qui commettent un néonaticide expriment un danger absolu face aux bouleversements de son corps. Lorsque le bébé naît, certaines projettent d’emblée des ressentis persécutés, tandis que d’autres sont envahies par des pensées délirantes quelques jours voire plusieurs semaines plus tard. Le bébé est souvent tué sauvagement (traumatisme crânien, décapité, démembré, brûlé vif), comme dans la situation de cette patiente retrouvée dans son appartement avec les morceaux de son bébé : « C’était le diable, il avait les yeux du démon, ce n’était pas un bébé juste le diable qui voulait me tuer ».
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